LES GRANDES ORGUES DU TEMPLE DE VALLON PONT D'ARC

Une aventure unique, à savourer avec un brin d'humour...

1  Tout  commencé  par  une  petite  promenade

Au moins les aînés parmi nous le sauront : Les loisirs sont à l'origine de tout mal... Or, les jeunes parmi nous cependant savent par expérience que les promenades peuvent être de caractère totalement différent. En effet, au moins deux grandes aventures de ma petite vie ont commencé par une promenade. Les deux ont été vécues par les mêmes acteurs. La première, c'est mon couple. Il a marqué ma vie prèsque 50 ans durant. Mais pour le moment, je ne parlerai que de la seconde. Nous avons donc fait une promenade. Chose plutôt rare pour un couple pastoral (surtout en pleine semaine). Mais vous le savez : la pérégrination dans la nature sauvage est fort propice au libre envol des idées. Et les circonstances étaient de taille. Un grand déménagement se préparait. Nous avions décidé de suivre l'appel dans une nouvelle paroisse. Dans une telle conjoncture, il y a bien des choses à prévoir, à discuter, à mettre en route - après consultation des différents intéressés...

Et voilà, sur un sentier romantique, dans les sous-bois printaniers, au cours du beau mois d'avril de l'an 1997, j'ai eu la bonne idée de soumettre à ma chère épouse mes intentions par rapport au „cadeau de départ“. Car, vous ne le savez peut-être pas, en Suisse il est de coutume de faire au pasteur un cadeau, au moment où il va quitter sa paroisse. Normalement, plus on est heureux de son départ, plus généreux sera le cadeau...

Bien sûr, le conseil de paroisse a l'habitude de lancer, au préalable, des questions discrètes, pour décider, finalement, du cadeau qui pourra satisfaire les personnes concernées...

Il convient, vous le devinerez bien, de se préparer dignement à une telle question. C'est ainsi que je me suis permis de présenter à ma chère et tendre mes refléxions respectives. Connaissant les besoins de ma future paroisse, j'avais déjà réuni une petite liste de cadeaux possibles, tous bien utiles et bien pratiques, soigneusement rangées selon la générosité supposée de ma paroisse. À commencer par un écran pour les projéctions de diapos, je passais en plusieurs points par le rétroprojécteur, pour arriver à une photocopieuse, outil indispensable, mais probablement déjà au-delà des moyens de ma paroisse, aussi heureuse qu'elle pouvait être de mon depart...

Ma pauvre épouse avait suivi l'étalage de ces idées avec une indignation croissante. Tandis que j'avais composé avec des soins extraordinaires une liste quasiment parfaite des outils de travail inéluctables pour un bon exercice de mon ministère à venir – mon épouse modèle arrivait à éffacer d'un seul mouvement de sa main toute cette liste de voeux phantastiques du sentier printanier sur lequel nous étions en route : „ Comme d'habitude, tu n'as pensé qu'à toi, mon grand “ me lançait-elle. Comment, par exemple, as-tu imaginé l'exercice du travail de la chorale paroissiale, sans le moindre instrument d'accompagnement valable ?“

Elle a eu raison, comme à l'accoutumé : à la salle paroissiale de Vallon se trouvait, en effet, un piano droit du 19è siècle, bien vénérable, avec son cadre en bois, mais injouable depuis de longues années. Je n'y avais pas pensé. Mais il me fallait faire remarquer à ma grande que déjà le moindre petit piano éléctronique serait bien au-delà de la limite de la valeur d'un présumé 'cadeau de départ'. Bien sûr, un tel instrument serait facile à transporter, on pourrait l'installer sans problème soit à la salle paroissiale, soit au temple. Car là, il n'y existe qu'une „ pompe à chorale “ fort astmatique. Un harmonium qui, quelques cent ans plus tôt, avait sans doute eu ses qualités incontestées. Mais depuis trente ou quarante ans, il soupire plus ou moins hamonieusement après l'attente de sa prochaine inspection générale...

 

 

2  Mais  bien  sûr,  il  nous  faudra  d'un  orgue...

Il suffisait d'évoquer l'instrument d'accompagnement vénérable du temple de Vallon pour mettre mon épouse dans tous ses états : Bien sûr, ce serait le plus important, de nous engager en faveur d'un instrument valable pour l'accomagnement des cultes au Temple de Vallon. Ne me dis pas que ce n'est pas possible. Bien sûr que si ! Ce serait, de toute manière, le cadeau le plus cohérent pour cette paroisse réformée du Pont d'Arc. Mes remarques timides furent écartées avec tant d'entrain qu'elles tombaient, évanouies, à droite à et gauche de notre sentier forestier. „ Le culte, n'est-il pas le centre incontesté de la vie de la paroisse, ici comme au Pont d'Arc ? Pour lui, tout éffort n'est-il pas ô combien justifé et souhaitable ?“

„ Mais, imagine seulement les sommes introuvables qu'il faudrait réunir, déjà pour le moindre petit instrument éléctronique !“ Or, ma compagne fidèle, sur ce sentier printanier, était déjà plongée dans les visions les plus heureuses d'un vrai orgue à tuyeaux. Non, il ne faudrait pas un instrument tout nouveau. Nous pourrions nous contenter d'un tout petit orgue à vent portatif. Il en existe qui trouvent leur place dans un coffre, pas bien plus grand que l'harmonium actuel !

En plus, cet instrument ne devrait même pas encore être à Vallon au moment du déménagement. On pourrait organiser une souscription, puis scruter le marché des orgues d'occasion... Qui sait, au bout de quelques années, on aurait confortablement réuni la somme nécessaire pour acquérir un instrument raisonnable, pour faire passer l'harmonium actuel à sa retraite bien méritée...

Que dire ? Après notre retour de cette promenade mémorable, j'ai lancé un coup de fil à mon cher ami Hans-Beat, l'organiste de Glarus. Il connaît un tas de gens. En tant que musicien chevronné, peut-être est-il même au courant de certaines constructions d'orgues en préparation... Parfois, une paroisse est contente de se débarrasser discrètement et sans frais d'un instrument qu'elle veut faire remplacer...

Mon ami Hans m'écoutait patiemment et ne manquait pas de louer la bonne idée de ma chère épouse. Mais il me faisait comprendre que je n'avais pas la moindre notion du marché des orgues d'occasion. Le prix du plus modeste des orgues, disponibles en Suisse, devrait se situer entre cinquante ou soixante mille francs suisses. Sans parler des petits orgues portatifs. Ils seraient sûrement insuffisants pour le vaste temple de Vallon, mais, de toute manière, deux fois plus chers qu'un grand.

Bien sûr, je n'étais pas trop surpris. Mais, du moins, j'avais fait preuve de bonne volonté. Maintenant, bon vent pour continuer avec mes quelques voeux à moi....

La question de l'orgue pour Vallon était donc classée. Bien sûr, un piano éléctronique figurait dès maintenant à la première ligne de ma liste. Et puis, bien tard le même soir, mon téléphonne sonne. Mon cher Hans avait eu l'occasion de contacter un facteur d'orgue ami. Lui, tout à fait par hasard, était au courant d'une éventualité. Mais alors tu ne vas pas croire, un „TRUC“ absolument invraisemblable. Pas possible - mais vrai ! L'instrument idéal pour le temple de Vallon !

Son enthousiasme était contagieux. En même temps, quelques objections divagaient dans mes intestins sans me demander mon avis.

Il est comment, cet orgue ? Combien de jeux ? Quel est son prix ? Je crains le vertige. Il m'a fallu me tenir à mon bureau au moment où plus de vingt jeux sortaient du combiné. Un buffet de plus de cinq mètres de large. Un orgue en parfait état, bien entretenu. Mais : Où placer un tel instrument magistral dans de temple de Vallon ? Et la paroisse qui a commandé son nouvel instrument, elle ne va certainement pas tout simplement nous laisser cet instrument extraordinaire gratuitement ?

3 les  rêves  et  la  réalité

Eh oui, je devrais immédiatement contacter Monsieur Amman, le président de la paroisse de Wängi en Thurgovie où se trouve l'instrument au Temple du village. Un orgue en très bon état qui n'a même pas encore cinquante ans d'âge. Pourtant, il y a un tout petit problème. Dans le temple où il se trouve, l'instrument n'a jamais vraiment satisfait, malgré toutes les améliorations qu'on y avait ajouté au fil des ans. Or, pour l'instrument nouveau, on aimerait reduire les frais. Ainsi sept des vingte-trois jeux existants devraient être implantés dans le nouvel orgue. Tout le reste serait gratuit, si on débarasserait le matériel à nos frais. Par contre, si nous souhaitions profiter de l'instrument entier, il faudrait payer ces sept jeux. Il ne s'agirait que de la petite somme bien modique de cinquante-six mille francs suisses. J'avais un gros noeud dans la gorge : Une somme hors de toute imagination. Mais que dire : Sept jeux – parmi plus de vingt ? Ne pourrait-on pas s'en passer tout simplement et boucher les trous des tuyeaux qui manquent ?

Vous comprenez bien : en ce qui concerne les orgues, je ne suis pas des plus doués...

Je n'avais vu qu'une seule fois un orgue de l'intérieur. C'était le jour de confirmation. Grand culte solennel, dans ma première paroisse. Les jeunes sont prêt pour leur culte solennel, bien alignés, deux à deux, le pasteur retient dignement ses inquiétudes. Et voici que l'organiste fait irruption dans la salle paroissiale où nous sommes en attente : Venez vite, Monsieur le pasteur, un tuyau de l'orgue n'arrête plus de bourdonner ! Que faire ? Le culte de confirmation avec un tel bruit de fond ? Je n'ai même pas quitté ma robe. Le temple comble, l'assemblée attend les grandes choses si bien préparées, et voici que, dans leur dos, le pasteur, plongé dans les soubassements de l'instrument, adresse à son organiste des ordres étouffés, incompréhensibles. J'avais devant moi d'innombrables baguettes et des petites visses, des écrous en cuire, et voici que quelque part, un petit rien s'était apparemment coincé n'importe comment... Quand-même, le culte a pu se dérouler, après, sans bruit incongru. Et pour les temps ordinaires, on a le facteur d'orgue qui assure l'entretien...

Monsieur Ammann était d'une gentillesse sans faille. Eh oui, le nouvel instrument est déjà commandé. Maintenant, bien sûr, se pose la question de l'ancien. Il est dans un état impeccable, mais malheureusement inadapté au temple où il se trouve. Ailleurs, il pourrait servir sans problèmes. Or, dans la paroisse de Wängi, les avis sont partagés. Les mélomanes ne souhaiteraient rien d'autre qu'un nouvel instrument. Mais certains paroissiens considèrent les frais énormes et voudraient garder l'instrument actuel. Bien sûr, si on pouvait mettre en valeur le fait que l'instrument sera le bienvenu ailleurs pour y servir convenablement, tout se présenterait de manière différente. Monsieur Ammann aborde aussi la question de l'argent. Je ne pouvais m'empêcher de lui dire qu'une somme au-dessus de cinquante mille francs seraient au-delà de toutes nos possibilités. Au maximum, je pourrais me porter garant pour la moitié à peu près, sans parler du démontage et du transport : des éléments indispensables pour préparer le remontage ultérieur.

C'est ainsi que l'aventure a pris son essor. Il s'en suivit d'autres coups de fil. La paroisse de Wängi recevait, pour l'assemblée générale de la paroisse, de larges informations sur la paroisse réformée de Vallon. Et puis, une petite délégation de la paroisse de Glarus fit le trajet à Wängi, pour enfin voir l'orgue en question „ face à face “... Il y avait l'organiste, un membre du conseil paroissial, et surtout mon ami Bruno, le sacristain de Glarus, un homme à résoudre tous les problèmes,

4  Un  orgue  –  et ses entrailles

Nous voici au seuil du temple de Wängi. Un superbe bouquet de forsythias dans un vase énorme de très bon style, et quelques Messieurs très gentils nous accueillent dans l'espace lumineux de ce sanctuaire. On se salue et on avance vers la console et la table de jeu. Un aspect vertigineux. On dirait le tableau de bord d'un avion. D'innombrables boutons et interrupteurs au-dessus des deux claviers, et, en dessous, des leviers, des pédales, plus le pédalier de l'orgue. Un monde inconnu et oh combien compliqué ! Je m'étonne du fait que la console (donc la table de jeu avec les claviers, le pédalier et les registres) se trouve à quelques trois mètres de distance de l'orgue.

Mon ami Hans sort quelques partitions de son cartable et se met à jouer. On dirait „ comme chez nous à Glarus “ - car, en effet, l'instrument est fabriqué par le même facteur d'orgue qui a aussi livré notre orgue de Glarus. Son harmonisation permet surtout l'interprétation des oeuvres du répertoire romantique Français. Comme si cet orgue avait été prédéstiné à la France ! L'orgue chante. Hans, ravi de l'instrument, essaie toujours d'autres combinaisons de jeux pour savoir ce que cet orgue permet d'interpréter. Et je vois cet instrument formidable dans le beau temple de Vallon. Bien sûr, sans le moindre doute, aucun des jeux existants ne pourra être abandonné ! Tandis que j'examine avec Hans la console pour en connaître les secrets, les hommes des deux conseils d'église s'engagent dans un débat à part. J'en ai appris plus tard les résultats : Si la paroisse de Wängi veut bien céder l'instrument à la communauté réformée du Pont d'Arc, les Glaronnais verseront de suite la somme convenue à Wängi, pour s'en tenir à la suite au pasteur fou-fou et sa souscription (une entreprise de grande mendicité...) envisagée...

Et voilà que s'ouvre le petit portillon à côté du buffet d'orgue. Nous entrons dans les entrailles de l'instrument. Tout d'abord, je ne distingue que des planches et des poutres et d'immenses tresses de câbles, des caissons, des centaines de petits appareilles éléctriques, alignés en deux rangées. Il s'agit d'éléctro-aimants qui approvisionnent les tuyaux d'orgue de vent, le bon moment venu.

Un monde impressionnant, inconnu, nouveau s'ouvre devant nous. Je suis mal dans ma peau. Des sensations fort inquiétantes vibrent dans mes entrailles. Ne serait-ce peut-être pas un tout petit peu au-dessus de mes possibilités limitées, de comprendre, de démonter – et surtout de remonter plus tard tout cet univers compliqué à Vallon ? Apparémment, tout ici est bien à sa place, et remplit parfaitement sa fonction. Mais je n'y comprends rien, mais vraiment rien de rien. Et tout ce chef-oeuvre, parfait jusque dans les moindres détails, qui suis-je pour le démonter, l'envelopper, le transporter, l'entrestocker pour un certain temps, et ensuite de le déballer et le remonter ? Des milliers de pièces, comment les assembler dans leur ordre primitif au temple de Vallon ? Le spectateur non initié ne peut qu'admirer, stupéfait, et se taire – et le pauvre petit pasteur que je suis connaît un vertige irresistible, un frisson alarmant qui le bouscule, le paralyse...

Bien sûr, entre temps, l'avalanche est déjà bien déclenchée. Trop tard pour encore faire la fugue, face à quelques petits détails secondaires. Si l'assemblée générale de la paroisse de Wängi veut bien nous laisser l'instrument, on va y aller, et ça va fonctionner, bien sûr, n'importe comment.

Mais, par contre, mon malaise n'est point infondé. Je dois me mettre à la recherche d'informations. Comment tout ça fonctionne, par exemple du côté courant éléctrique ? Et comment comprendre le système des mille fils éléctriques qui relient la console, chaque touche à son aimant respectif ? Et puis, à l'étage supérieur, les quelques mille-cinq-cent tuyeaux... À première vue, cela me semble plutôt être facile à saisir, au moins par rapport à ce labyrinthe de câbles et de pièces éléctriques en bas. Je vais bien avertir mon tout petit groupe de bénévoles qui s'est déjà annoncée pour l'expérience particulière que sera le démontage.

5  l'aventure  prend  son  essor

Entre temps, le facteur d'orgue au pays glaronnais a pris feu pour ce projet un tout petit peu hors des chemins battus. Notre organiste, le champion des impulsions discrètes, lui a passé le virus : Ne serait-ce pas fabuleux de procurer à une petite communauté réformée du sud de la France (qui n'a pas le sou) un tel instrument superbe ? Si cet orgue de Wängi va dans le sud de la France, et si tous les jeux du nouvel instrument, déjà commandé, seront à faire à neuf, la maison Mathys et son maître s'engagent à concéder une forte réduction du prix pour l'ouvrage nouveau, destiné à Wängi. Sans parler du démontage gratuit (assuré par les bénévoles) qui a fait parti du budget primitif. Et tous ceux qui ont aimé l'ancien orgue, seront sûrement contents de savoir qu'il aura une nouvelle vie au temple de Vallon, digne de ses qualités. L'assemblée générale de Wängi donne donc son accord, et ceci avec une large majorité des voix...

Bien sûr, maintenant l'aventure démarre de plein jeu ! Les conseillers présbytéraux du Pont d'Arc sont au courant de la soupe fabuleuse qui se concocte en Suisse à leur intention. Ils ont reçu quelques photos de l'instrument, et un plan (bien sûr illisible pour tout non-initié...) pour débattre du lieu qu'on lui attribuera au temple de Vallon. Je fais un bond d'un week-end dans ma future paroisse pour qu'on regarde les choses ensemble : Et, miracle ! il s'avère que l'orgue trouvera sa place à la tribune du temple comme si l'instrument n'était prévu que pour ça. Bien sûr, on devra l'accomoder un peu. Les plus grands tuyaux du pédalier devront être placés à côté, puisque la tribune à Vallon n'est pas aussi large que l'apside où ils se trouvaient à Wängi. Mais la hauteur est bonne. C'était notre plus grand souci. Il ne faut que fermer les yeux pour voir notre orgue magistralement trôner sur la tribune, de sobriété réformée, et pourtant impressionnant. Le buffet monte jusqu'à la voute, et des sons majestueux sortent de l'instrument pour faire vibrer le grand volume du temple...

Or, pour que le rêve se réalise, il faudra tout d'abord retrousser les manches. En premier lieu, il s'agit de trouver des bénévoles sur place pour l'accueil de l'instrument. Dans quatre semaines, le lundi 26 mai au soir, je serai de retour à Vallon, avec un semi-remorque à décharger et pour entrestocker tout le matériel dans le vieux mas d'une paroissienne...

En Suisse aussi, les préparations continuent. Le facteur d'orgue très gentil et patient m'introduit dans ses ateliers pour me faire découvrir quelques secrets de sa profession. Je découvre les conduits à vent et les soupapes, j'apprends comment manipuler les tuyaux d'orgues sans les endommager, comment les emballer...

D'innombrables coups de fils, de longues promenades nocturnes dans mon lit, des nuits blanches : Il y a des myriades de détails à ne pas perdre de vue...

Et voilà que le grand jour arrive : Le démontage démarre. Le lundi de Pentecôte, l'orgue a chanté une derniere fois au cours du culte du matin, et le dimanche prochain l'apside devra être vide. On se servira d'un piano éléctronique. Entre ces deux cultes, cinq jours de travail pour lesquels toute une bande d'amis se trouve déjà dans les starting blocks. Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'installation éléctrique. Lundi après-midi, je veux voir avec Fritz, un ami éléctricien, comment préparer les choses – pour ne pas trop retarder les travaux en équipe du lendemain. En plus, nous avons déjà rempli la fourgonette d'outils et de matériaux d'emballage. Rien à faire : en un tour de main, le temple de Wängi ... se transforme déjà en atelier !

6  Quel  chantier  !

Tout à fait par hasard, l'éléctricien du village est sur place avant nous (en salopette, un lundi de Pentecôte, jour férier !). Il débranche le jus pour nous permettre de travailler en toute sécurité. Il a même pensé aux projecteurs dont nous aurions besoin à l'intérieur de l'instrument. Dès que notre Fritz, le maître des mille fils éléctriques, s'est mis au boulot, nous nous lançons dans le démontage des tuyaux. Il y en a exactement 1496 qui doivent être notés et emballés. Au-dessus des bancs du temple, des panneaux feutrés permettent de réunir chaque jeu et d'emballer tuyeau par tuyeau. Le long des murs, nous plaçons des petits bouts de bois par terre, dotés de trous coniques pour recevoir les pointes des grands tuyeaux en étain. Car, pour le transport, ces tuyeaux très tendres ne doivent pas être couchés pour plus de cinq jours à la suite. Notre planning le prévoit. Dès jeudi matin, le semi-remorque sera garé devant le temple. Nous le remplirons bien systématiquement. Tout d'abord les pièces en bois, et à la fin seulement les grands tuyaux en étain, dans leurs caisses énormes, empruntées, conçues spécialement pour de tels transports...

Ce lundi après-midi, nous n'avions prévu que des préparations. Et puis arrive l'organiste de Wängi pour prendre quelques photos du départ de l'orgue. Ainsi nous avons tout de même commencé à démonter les tuyaux du buffet. Peu après, le vaste temple de Wängi resonnait d'activités multiples, d'autant plus que quelques spectateurs étaient venus – pour être mutés en collaborateurs !

Très rapidement, le bel instrument n'a plus d'allure : On dirait un vieillard édenté ! Tout se développe dynamiquement, avec, quand-même, une petite catastrophe : Il s'avère que les deux plus grands tuyaux en étain sont trop longs pour les caisses prévues ! Le soir, après notre retour, Adrien m'assiste pour fabriquer une caisse de 350cm de long pour ces deux tuyaux les plus longs. Et, le lendemain matin, on s'étonne d'une caisse énorme qui se met en route, sur une petite voiture, en chemin au temple de Wängi...

Voilà, une semaine inoubliable pour tous ceux, toutes celles qui ont partagé les plaisirs et les aléas du démontage. A midi, les grands travailleurs sont invités dans des familles de la paroisse. On fait connaissance, on s'entretient ... et l'orgue devient – une nouvelle fois ! le point de départ d'un élément extraordinaire de vie de paroisse...

7  A  Vallon,  on  s'attend  à  quelque  chose

Dans notre petite commune ardéchoise, la nouvelle de „ l'orgue de Vallon “ rétentit à la ronde. On avait entendu parler d'un semi-remorque plein de pièces et de tuyaux, on avait eu des échos de la soirée dynamique où il avait fallu décharger le camion et entreposer le matériel. Et, parfois, on abordait le nouveau pasteur rien que pour savoir quand pourraient commencer les corvées du remontage. Et où donc l'orgue sera-t-il placé dans notre beau temple de Vallon ? Et que ferez-vous donc, après, de notre magnifique harmonium ?

Bien sûr, pour de longues mois, l'orgue n'était pas à l'ordre du jour. Un pasteur fraîchement arrivé dans sa nouvelle paroisse a d'autres priorités que de bricoler sur un orgue, aussi passionant soit-il. Sans parler du fait que le temple de Vallon est un cas spécial. Tandis que d'autres paroisses ferment leurs lieux de culte pour les mois d'été, au Pont d'Arc on fait face à la période la plus animée de l'année ! On parle même d'autochtones qui, l'été, se transforment en cannibales (des humains qui se nourissent essentiellement de touristes)... Dans une telle conjoncture, le pasteur ne trouve pas trop de loisirs à côté des „ Haltes Spirituelles “ et du „ Comptoir du livre chrétien “, à part de l'exposition d'art au Temple et des „ verres de l'amitié “ après les cultes, avec les concerts et les innombrables rencontres avec des gens passionnants de loin et de près, pour imaginer quelques petites activités artisanales à part...

Néanmoins, un ami de passage et un après-midi ensoleillé ont permis le transport des madriers qui vont servir de plancher pour l'orgue à la tribune.

Et voilà que tout doucement, certains travaux ont vu le jour : Le menuisier du village rabote les madriers, Gilbert assure le traitement insécticide, Francis sort toute une charge de pierres de la sacristie pour y encastrer les nouveaux câbles, et dans une action spéctaculaire, la tribune se prépare à sa nouvelle fonction de porter dorénavant un orgue magistral !

8  La  tribune  de  l'orgue

Le temple de Vallon fut inauguré en 1823. Son architecture sobre est remarquable : Le visiteur s'étonne de la voute d'une portée de presque douze mètres, avec une hauteur de plus de neuf mètres à la cime. On peut être pris de vertige, surtout sachant que cette voute est construite en briques, faites à la main, d'une épaisseur de cinq centimètres seulement. Et tout le poids de cette contruction est portée par les murs latéraux, construits en galets de l'Ardèche, qui, à la base, ont près de deux mètres d'épaisseur. Et maintenant, nous voici à envisager d' y ajouter un orgue de plus de dix mille kilos... Qu'en dira notre tribune vénérable ? Nous avons consulté un architecte. Il nous a fait examiner les piliers – qui, heureusement, ne contenaient pas de bois. Il suffirait de monter sur ces piliers une poutre en béton armé (que nous avons camouflé dans les travées existantes, faites de sable et de pierres, solidifiées seulement à l'extérieur par du plâtre). Un travail difficile et précis, mais l'équipe de bénévoles était de taille. Nous étions six à l'ouvrage : l'un à la bétonnière en bas, un second en haut pour couler le béton en place, et les autres assuraient le „travail de romains“, de porter les innombrables seaux de béton. Chargé de ce travail pénible, Roland lance, entre deux seaux de béton : „Nos ancêtres ont construit ce temple – et à partir de maintenant, il va être marqué par les empreintes de nos mains“. Bien sûr, il savait comme nous tous que ces empreintes de mains seraient bientôt cachées sous les madriers du plancher et par l'orgue – mais vous le savez tous, l'église a toujours à nouveau besoin des empreintes de mains qui la touchent et la transforment !

Ensuite, nous avions besoin d'un échafaudage. Le premier entrepreneur de Vallon n'hésitait pas à nous l'offrir. Pour un temps indéterminé, bien sûr...

Déjà au moment du montage, nous avons passé des moments inoubliables. Pensez par exemple à Louis qui ne craint pas le vertige. Il se hissait sur les éléments basculants et lançait ses ordres : „ André, le marteau !“ Et Jean-Marc, intrépide, monte un madrier après l'autre dans les hauteurs vertigineuses.

Un bonne occasion pour connaître tes nouveaux paroissiens, mon grand ! Et les gens sont vraiment passionnés du travail. Quel plaisir de les voir en plein entrain ! Mais pourtant : l'échafaudage pourrait enfin arrêter de bouger...

Puis, vint le mois d'octobre. Quinze jeunes (et moins jeunes) Suisses s'étaient annoncés pour un stage de travail, Le projet : Monter la structure de l'orgue sur la tribune, pendant un peu plus d'une semaine. Les pièces les plus importantes, tel le buffet, la console, le soufflet et les conduites à vent, demandaient toute une armée de mains habiles, vu la hauteur de la tribune.

Vous le savez peut-être : Un travail commun crée des liens formidables. Nous avons passé une semaine saissisante – aussi avec les paroissiens, dont les uns venaient avec des boissons, d'autres avec des friandises, et pas mal s'unissaient aux bénévoles pour donner  un coup de main !

9  J'orgue,  tu  orgues,  on orgue...

Le soleil d'octobre est bien renommé dans notre belle région pour les jours féeriques qu'il peut offrir. Voici que toutes les pièces de l'orgue pouvaient être transportées sans aucune goutte d'eau (abstraction faite de la sueur des bosseurs, bien entendu) au lieu de la grande aventure. Le temple devenait un vaste réceptacle de matériaux bizarres. Vous ne croirez pas combien de pièces énigmatiques s'y réunissaient – dans l'espoir de redevenir un orgue qui chante...

Dans un désordre sympatique, les presque mille-cinq-cent tuyaux (dont la cinquième part en bois), les pièces précieuses emballés une à une dans du papier, du film à bulles ou des sacs en étoffe, et les innombrables éléments de l'ouvrage remplissaient le temple. Bien sûr, les jeunes n'omettaient pas de faire chanter quelques tuyaux à la bouche. On avait presque des ébauches de concerts (de préférence avant que les pièces en bois soient traitées contre les bestioles).

Normalement, au cours de tels stages de travail, on fait tout pour être au bout du programme de travail prévu avant que l'entrain des collaborateurs ne faiblisse. Cette fois-ci, il a fallu de quelques nuits blanches pour préparer d'autres travaux. Certains des jeunes se sont même lancés dans un désherbage du jardin du presbytère, bien avant de mettre les beautés de notre région et de son patrimoine culturel à l'ordre du jour. Les amis suisses étaient eux-mêmes surpris et ravis des résultats spéctaculaires de leurs vacances laborieuses.

Fort évidemment, ce coup de pouce extraordinaire du début permettait, à la suite, aux bénévoles locaux de continuer bien dynamiquement les travaux.

Les collaborateurs suisses furent remerciés bien chaleureusement avant qu'ils ne regagnaient peur patrie, et voici que c'était le tour des bénévoles du Pont d'Arc. On conseillait à l'occasion au pasteur de modifier un peu son prénom, presque imprononçable au français moyen, Au lieu de dire „ Jörg “, on pourrait prononcer „ Jorgue “, et on tomberait sur un nouveau verbe français : “ J'orgue ", tu orgues, il orgue, nous orgons, vous orguez, et tout Vallon orgue...

Tous les lundis et mercredis entre 16 et 20heures, et le samedi toute la journée, les bosseurs passionnés étaient à l'oeuvre. Il fallait leur procurer du boulot. Les foules ont retroussé les manches, et tout le monde était ravi de voir avancer le chantier.

La caisse géante pour les tuyaux du second clavier avait déjà été monté par les amis suisses. Au moment où le couvercle de cette armoire énorme avait presque touché la voute, il était évident que le buffet était un peu trop grand pour son emplacement nouveau. Bien sûr, les tuyaux seraient à poser, mais le beau cadre du buffet en cinq parties qui avait entièrement rempli le choeur du temple de Wängi, devrait perdre quelques plumes, au moins à ses exptrémités. Nous avons assemblé les morceaux sur le sol du temple, nous avons tout mesuré à plusieures reprises, nous avons fait des essais – et, finalement, nous étions contraints de raccourcir les éléments extérieurs du buffet de presque vingt centimètres. Pour, à la suite, fixer le tout sous et dans la voûte. Quel travail vertigineux, à neuf mètres de hauteur, et encore sur un échafaudage qui tremblait plus que le travailleur, hissé là haut, à bout de courage...

10  comme  les  tuyaux  d'orgue...

Le montage du buffet terminé, on pouvait déjà deviner l'aspect définitif de l'orgue à l'emplacement nouveau : Extraordinaire ! Un soir, après le départ des autres travailleurs, tout d'un coup, le maire Jean-Pierre arrive. Il regarde, stupéfait : Incroyable que cet instrument était placé, quarante ans durant, dans un autre temple : „  Mais c'est pas vrai, c'est l'orgue pour ce temple de Vallon ! Il est prédéstiné pour ici !“ Je partage son enthousiasme, bien prêt à croire - au moins en cette prédéstination particulière...

Puis, encore une corvée spéciale avec plus d'une douzaine de bénévoles durant un samedi. Même l'organiste de Montélimar avait fait le déplacement pour saluer l'instrument fraîchement arrivé dans la région – avec sa famille. Ils ont aidé assembler, toute une longue journée durant, des jeux de tuyaux. Un à un, ces merveilles de précision sont déballés et, selon leur appartenance, posé contre le mur. Les voici, alignés „ comme les tuyaux d'orgue “, en attendant patiemment l'instant où ils devront retrouver leur place précise dans l'ouvrage. Un travail gigantesque ! Tous les tuyaux étaient à monter sur la tribune (dans le bon ordre, bien sûr) – et aucun des bénévoles n'omettait de monter, à la fin, à l'étage de l'orgue pour admirer ces tuyaux qui, sur un minimum de place, avaient retrouvés leurs trous. Il n'en manquait aucun !

Bien sûr, un seul tuyau d'orgue aurait une certaine petite histoire à raconter, s'il n'était pas totalement discret. Un soir, j'étais dans l'orgue pour préparer le travail de l'équipe. Il fallait contrôler les tuyaux labiaux que nous avions dû démonter pour le transport. Un tel travail demande bien de petits bricoles pour lesquels je préfère m'amuser à l'exclusion de tout public : On ne sait jamais ce qui peut arriver... Or, vient le moment où j'ai masscré un tuyau ! Cela te coupe le souffle, mon cher ! Javais voulu assembler un tuyau du Fagot qui coinçait un peu, J'insiste – et au moment d'essayer la flûte à la bouche, elle reste muette. Donc : rebelote, le démontage pour tout recommencer – et une chaleur inattendue me monte à la tête : à l'intérieur du tuyau, tout est massacré. On dirait du papier de journal frissé, ce qui n'est en réalité qu'une fine tôle d'étain... À la maison, j'ai entrepris une opération délicate qui, deux heures plus tard, sembla être réussie. Mais ce tuyau et moi, nous n'en parlerons point...

Après tous ces travaux, plus quelques retouches au buffet et un coup de peinture à la rambarde de la tribune, nous pouvions sortir l'échafaudage du temple. Juste avant Noël 1997, nous avons bien néttoyé notre temple, et voilà qu'il pourrait servir comme si de rien n'était...

Mais, bien sûr : Jusqu'alors, l'orgue n'avait pas encore produit le moindre son à son nouvel emplacement à Vallon. La soufflerie et les grands tuyaux en bois de la soubasse avait dû être placés autrement, et maintenant, il nous manquaient les conduites de vent conséquentes. Bien sûr, de telles tubes flexibles, fait en carton et renforcés de fils de fer, se trouvent aussi en France, mais les semaines passaient sans que le matériel commandé n'arrive. C'était une petite catastrophe, puisque, normalement, chaque jeu devrait être contrôlé et harmonisé avant que le suivant n'en barre l'accès...

11  Le  jus

A part tout cela, il y avait encore un autre „ petit problème “. Au temple de Wängi, notre cher Fritz, l'éléctricien chevronné, avait travaillé pendant des jours, à quatre pattes (septuagénaires, quand-même !) dans l'orgue, pour démonter le système éléctrique. Il avait couronné son oeuvre d'un compte-rendu impressionnant de plusieurs pages, et prévu de tout remettre en place et de ressouder les pièces à Vallon. Hélas, pour des raisons de santé, son projet devait échouer. Mais nous avions quand-même son compte-rendu ! Tout d'abord, nous avions remis en place toutes les tresses de câbles. Et, juste au bon moment, il y avait la visite de Karl-Friedrich. Il est ingénieur éléctricien. Pour lui, pas de panique face à mille fils multicolores à ressouder. Suivant bien fidèlement la liste de notre cher Fritz, la sueur et l'étain coulant à flots, tout fut ressoudé, jusqu'à ce que chaque fil ait retrouvé sa bonne place. Et toujours pas un seul son qui ne sortait de l'orgue !

Par contre, le nouveau redresseur était arrivé. Il fut branché, et il faisait cliqueter les aimants éléctriques. Il y en avait qui ne cliquetaient pas comme voulu – il fallait donc les réviser.

Et puis, en fin janvier 1998, nous étions au comble du bonheur : De Suisse, nous parvenait un petit mètre cube de tuyaux fléxibles ô combien attendus. Un grand samedi de travail, et voilà que les postages étaient collées à leurs places, fixées et vissées. Enfin, la turbine pouvait remplir le soufflet, le poumon de l'instrument. Quel grand moment ! Nous nous mettions à la recherche de fuites dans le systeme de vent. Hélas, ce n'était pas trop difficile ! Il y avait des petits soufflets dont le cuir était si fragile que nous étions obligés de remplacer le cuir presque partout. Un „ travail bien méditatif “ pour de longues soirées d'hiver...

Puis vint le grand moment où Jean-Marc, notre organiste, a pu „ faire chanter “ l'instrument pour la première fois. Tout commençait par un exercice qui ne demanderait pas une formation musicale de plusieures années : Jean-Marc faisait chanter, bien patiemment, un tuyau après l'autre. Une nouvelle fois, nous avons pu constater des petits défauts. Certains tuyaux ne parlaient point, d'autres sons venaient au mauvais endroit (au moment du montage, on peut très facilement se tromper de fil...).

C'était un stade du remontage où le nombre des bénévoles se reduisait à un petit „ noyeau dur “. D'une part, les grandes corvées étaient terminées, et, surtout, c'étaient maintenant la précision et les rafistolages qui étaient de mise. Tandis que je passais des soirées entières à l'intérieur de l'orgue, Henri s'affairait aux détails de la peinture, surtout du hall d'entrée du temple, en-dessous de l'instrument. Rapide et habile comme un écureuil, il montait et descendait le grand escabeau de trois mètres, pour embellir les murs et le plafond. En même temps, j'étais à l'étage supérieur pour mes petits bricolages. Separés – et pourtant bien ensemble, nous étions à l'ouvrage, silentieusement. De temps en temps, l'un ou l'autre avait besoin d'un coup de main du comgagnon. Jusqu'au moment où j'entends un grand coup sonore. Effrayant ! J'appelle : “ Henri, y-a-t-il quelque chose “ „ Eh ou i! “ „ C'est grave ?“ „ Eh oui !“ Redoutant le pire, je me précipite en bas. Henri est debout, quand-même ! Il est tout blanc de peinture, de la tête aux pieds. Mais sain et sauf. Rien de cassé ! La tension se dégage dans un rire homérique. Henri, à cheval sur l'escabeau, travaillant au plafond, est tombé – sur un pot de peinture. Celui-ci a carrément explosé, en freinant la chute. Pendant deux heures, il fallait laver la peinture de mon pauvre Henri, du portail du temple et du sol, mais ce n'est rien contre tout ce qui aurait pu arriver, en ce moment-ci !

12  Un  facteur  d'orgue  arrive –  et  devient  notre  frère

Depuis un bon moment déjà, nous avions compris qu'il fallait l'intervention d'un vrai „ pro “ pour les dernières finitions. Tout le grand ouvrage, l'ébenisterie et la mécanique, même les secrets insondables de l'éléctricité, avait été maîtrisé d'une manière ou d'une autre, avec beaucoup de bonne volonté, de la patience – et de la chance. Or, maintenant, il s'agissait d'harmoniser l'instrument pour l'espace nouveau, et de l'accorder : Pour cela, l'homme du métier est irremplaçable. Mais, il faut le trouver. Et puis – avoir encore de quoi le rémunérer...

Or, ici encore, notre aventure s'est déroulé comme si quelqu'un, doté d'une grande phantaisie, s'était tiré l'histoire de son petit doigt.

Au début, nous avions pensé pouvoir inviter un facteur d'orgue suisse à faire des vacances, avec sa famille, dans notre belle région - pour le faire intervenir sur l'orgue, en passant, pendant quelques heures seulement. Or, les spécialistes pensaient qu'on se moquait d'eux : L'harmonisation d'un orgue de 21 jeux, ça correspond à deux semaines de travail assidu – rien de moins que des vacances !

En plus, il ne suffirait pas d'assurer l'harmonisation et l'accord. Il faudrait un professionel qui, le cas échéant, pourrait intervenir sur l'orgue pour les réparations imprévues...

Un facteur d'orgue, installé non loin de nous, devait nous decevoir : Il a changé de métier, puisque notre région ne peut nourrir aucun facteur d'orgue. Il existe bien des orgues à refaire et à entretenir, mais c'est partout le fric qui manque...

Et puis j'ai eu l'appel d'un facteur d'orgue inconnu. Il venait d'apprendre l'histoire de „ l'orgue de Vallon “. Il aimerait voir l'instrument. Bien sûr, on travaillera samedi, comme d'habitude. Il peut passer. Et il vient, bénévole comme tout le monde. Mais tout le monde regarde bien ses doigts, Tout discrètement, vous me comprenez... Il vient de Suisse. Installé comme facteur d'orgue en Bourgogne, depuis peu. Il vint, il vit, et il bossa. Et il nous a impressionné. Avec son entrain juvénil, avec sa manière de faire sans faille, et, surtout, avec sa passion pour le travail bien fait : On ne parle pas de repas du soir tant que le problème actuel n'est pas résolu...

Les responsables sont unanimes : On va demander à Marco de venir assurer l'harmonisation et l'accord, avant le premier concert. Mais, bien sûr, les conséquences sont lourdes : Il s'agit de ressortir les tuyaux d'orgue par rangées entières, pour accommoder l'arrivée du vent, commençant par la dernière rangée. Ici un aimant ne réagit pas, là, il manque un feutre. A un autre endroit, il y a deux tuyaux qui chantent à la fois, au lieu d'un seul...

Finalement, jeu par jeu est mis en chantier et accordé. Bien sûr, la paroisse n'abandonne pas son facteur d'orgue. Marco a tous les jours les collaborateurs voulus. Le café coule à flots. On l'héberge, on l'invite à dîner. Les clients et les main-d'oeuvres deviennent des amis, des frères. Tous sont à ses côtés, jusqu'au dernier jour – et à la dernière nuit. Car, le dernier jeu pose tant de problèmes que l'aurore s'annonce au moment où Marco ferme sa trousse à outils pour renter chez lui. Mais l'orgue fonctionne. Et chante ! Magistralement ! Et tout le monde est au comble de la joie !

Le concert d'inauguration a eu lieu à Pentecôte 1998, presque au jour le jour un an après le début de l'opération. Il y avait un monde fou - et enthousiasmé - non seulement du Pont d'Arc, mais aussi de Glarus – et de Wängi. Et c'étaient surtout ces derniers qui étaient étonnés du chant magistral de l'ancien orgue de Wängi...

Un second grand concert d'inauguration eut lieu le 12 juillet 1998. Et depuis, l'instrument n'arrête pas de chanter sous son titulaire Jean-Marc, toujours entretenu par Marco qui passe de temps en temps pour revoir ses amis et les orgues du Pont d'Arc.

Postscriptum: Hélàs, le premier titulaire de l'orgue de Vallon est parti " à l'étage supérieur ". Mais l'instrument continue à chanter - sous d'autres organistes. Depuis deuxans déjà, " l'organiste titulaire " est Mireille Bésuchet de Labastide. Malgré son âge, elle est tombée amoureuse de l'instrument - dont elle a bien découvert la plupart de ses secrets... En 2019, c'est toujours Marco Venegoni qui assure l'entretien musical (en même temps que celui de l'orgue de Lagorce), et l'entretien mécanique est toujours assuré par moi.