Un oiseau qui fait peur ?
Le hibou
Parmi les premiers dessins qu'on découvre dans la Caverne du Pont d'Arc se trouve une œuvre particulière. C'est la seule représentation d'un oiseau clairement identifiable. Le dessin se trouve à un endroit remarquable de la grotte ornée du Pont d'Arc : au milieu de la salle Hillaire, au bord du grand effondrement (apparément, le sol de la grotte s'est affaissé après l'application de ces dessins). À cet endroit se trouvent quelques éléments rocheux qui pendent du plafond de la grotte. Ils étaient couverts d'une couche d'alluvions argileuses, humide et tendre à l'époque, qui s'offrait à y appliquer des gravures, effectuées tout simplement à la pointe du doigt.
Le dessin d'un grand oiseau de nuit fut identifié par les scientifiques comme un grand duc, donc comme le plus grand des rapaces nocturnes existant à l'époque. Cet animal ne faisait sûrement pas partie des animaux ciblés à la chasse. Et il ne pouvait, pas non plus, devenir dangereux pour l'homme. Or, il se trouve au milieu d'une composition bien surprenante.
En regardant cette représentation du grand duc, je me souviens d'une rencontre que j'ai eu comme adolescent avec un tel oiseau (dans le cadre absolument rassurant et assuré de la visite d'un parc zoologique). En rentrant dans un batiment contenant les volières de rapaces nocturnes, je me trouvais en face d'un grand duc, perché sur un arbre mort dans sa volière. Il me regardait très attentivement de ses yeux presque humains. Je m'avais tout d'abord arrêté pour bien contempler cet oiseau immense au regard si intélligent et attentif – et quelle surprise : au moment de me remettre en route, l'oiseau, sans bouger du corps, me suivait de son regard perçant… tout en suivant mon déplacement par un mouvement de sa tête seulement ! Une expérience inoubliable par ce fait que l'animal semblait m'avoir non seulement vu, mais reconnu, découvert – jusque dans les plus intimes secrets de mon coeur. Et, voilà, c'est exactement cette capacité de l'hibou de tourner sa tête jusqu'au dos (donc pour 180°) qui est présenté dans cette gravure rupestre à la salle Hillaire !
L'auteur de ce dessin connaissait bien cette capacité du rapace, le représentant avec son « visage » (presque humain d'ailleurs!) vu d'en face, et le corps dessiné de dos, donc avec les ailes et les plumes dorsales.
Je pense qu'à l'époque, cet oiseau était intéressant aux hommes aurignaciens pour deux raisons. D'une part pour son impressionante grandeur (qui pouvait, en effet, effrayer toute personne qui en observait un lors de son vol silencieux, la nuit, ou aussi avec son cri « prèsque humain » - et, d'autre part, pour ce regard attentif qui peut faire croire que l'animal dispose d'une intélligence prèsque humaine – ou même « surhumaine ».
Or, dans la grotte ornée du Pont d'Arc ce dessin se trouve sur un pendentif rocheux assez large. Et il n'est pas seul. À gauche de l'hibou il se trouve un dessin bien surprenant: Il peut être interprêté comme le dessin d'une femme nue. On voit tout d'abord le plexe solaire, au-dessus deux spirales qui peuvent être les seins, un peu plus à gauche une ébauche de tête - et en dessous du ventre, le triangle pubien et les cuisses... Et pour compléter la composition, le dessinateur a gravé a droite la tête d'un mamouth qui laisse pendre sa trompe vers le bas - comme si ce dessin devrait faire penser à un homme nu...
Une composition qui invite à la méditation...
Les peintures rupestres de la Grotte Ornée du Pont d'Arc
Le rhinocéros
Les responsables de la « Caverne du Pont d'Arc » ont eu la bonne idée de choisir comme logo pour la Caverne le dessin d'un rhinocéros qui se trouve dans une cavité entre le panneau des chevaux dans la salle Hillaire et l'entrée de la galerie des megacéros. Ce rhinocéros est un exemple très parlant de ces peintures rupestres qui, même pour les spectateurs actuels que nous sommes, quelques 36 000 ans après leur exécution, sont d'une beauté et d'une perfection esthétique surprenantes.
Tout d'abord je tiens à mentionner la clarté et la sécurité du trait. Regardant ce dessin, on se demande immédiatement comment le dessinateur a pu arriver à cette perfection du trait. Il doit avoir fait des essais. Il s'est sûrement exercé – mais apparemment ailleurs : Le dessin lui-même ne présente pas la moindre retouche ni correction. Il est, en plus, le fruit d'une observation très attentive du sujet en pleine nature. Pour arriver à « jouer » à une telle virtuosité sur les proportions et la présentation du corps, il faut bien connaître son anatomie, ses articulations et ses mouvements.
Le second détail qui me frappe, c'est l'insertion du dessin dans une niche très peu large dans la paroi gauche de la grotte. Ses contours épousent parfaitement la forme de la paroi. On pourrait penser que l'artiste a "vu" son oeuvre sur la paroi déjà avant de la commencer...
Et le troisième élément étonnant, c'est la « défense », la corne nasale de l'animal. Or, cette corne présente une particularité que nous trouverons encore sur d'autres rhinocéros de la caverne (mais pas du tout sur tous!). Elle consiste en ce fait que la défense est tellement rallongée, exagérée en longueur et en courbure - qu'elle ne peut plus servir d'arme. Bien sûr, je ne veux pas être confronté, dans la nature, à un animal d'un poids entre cinq- et six-cent kilos et d'un dynamisme déchaîné, même si sa défense soit tellement courbée vers l'arrière. Or, le dessin exagère la longueur et la courbe de cette corne à un point tel qu'elle ne peut plus servir d'arme offensive ou défensive. Sa pointe est orientée vers l'arrière (et c'est ainsi qu'elle trouve parfaitement sa place dans la niche de la cavité dans laquelle son auteur l'a placé). Désormais, cette défense ne sera rien d'autre qu'un ornement décoratif, elle ne sera plus du tout d'arme dangereuse.
Il en est de même – et c'est le troisième détail que j'aimerais retenir – pour les pieds. On a déjà souligné que les animaux représentés dans la grotte ornée du Pont d'Arc concernent pour la plus grande partie des espèces qui habituellement n'étaient pas chassés par les hommes aurignaciens. Pourtant, il s'agit – pour ainsi dire sans exception – d'animaux qui étaient redouté par l'homme. Ces fauves engendraient la peur, l'envie de s'enfuir. Mais il est d'autant plus surprenant de découvrir que tous ces animaux " dangereux " sont représentés sans la moindre aggressivité. Ils n'apparaissent ni méchants, ni vilains. Et leurs armes les plus importantes, les pieds, sont - pour la plupart - comme camouflées. Il y a, pour notre rhinocéros, des esquisses des deux pieds avant, et le train gauche arrière semble se perdre totalement dans l'insignifiance…
A regarder l'oeil et la bouche de l'animal, on dirait, en plus, qu'il sourit. Il ne veut pas agresser, il veut partager avec la personne qui la regarde sa joie d'exister. C'est pour cela qu'il sort de l'invisibilité du recoin rocheux dans lequel il semblait être caché…